Alors on l'annule cette dette, ou pas ?
Le devenir de notre dette publique fait l’objet d’un débat intense entre économistes et politiques depuis mars 2020. Si les conservateurs ont défendu leur refrain habituel de "une dette ça se rembourse", de nombreuses propositions progressistes se sont aussi faites entendre. Les économistes de gauche ne défendent pas tou.te.s la même solution.
Certain.e.s veulent annuler, d'autres transformer la dette en dette perpétuelle ou mettre en place un circuit du Trésor. Mais notre camp politique s'accorde sur un objectif : pas de retour de l'austérité budgétaire. J'ai voulu échanger avec Anne-Laure Delatte, économiste chargée de recherche au CNRS, qui défend également cette vision, et qui a pris position dans ce débat pour souligner la nécessité d'articuler les questions monétaires et fiscales.
Ma contribution sur le sujet du devenir de la dette Covid et du financement de l'action publique : Tribune
Le live complet
Extraits de notre discussion :
Pourquoi on débat de la dette en ce moment ?
“La France a augmenté de façon très importante sa dette l’année dernière. Ce surplus fait peur à tout le monde d’où les débats actuels”
“Mais il n’y a pas lieu de s’affoler. Le monde entier a vu sa dette exploser avec les dépenses exceptionnelles liées au Covid”
“La France est toujours considérée comme un très bon payeur. Notre dette est un actif sûr. Nous ne sommes pas en faillite contrairement à ce qu’on entend depuis 20 ans”
Quel est l’impact de la dette sur nos vies ?
“Les mécanismes économiques ne sont pas automatiques : le Japon a une dette de 250 % de son PIB et n’a pas explosé. L’Argentine est à 60 % et explose”
“La gestion de la dette est surtout un choix politique”
“Quand Bruno Le Maire ou François Bayrou assurent qu’ils comptent rembourser, c’est un message politique qu’ils envoient aux créanciers, aux épargnants et aux marchés financiers que la rigueur budgétaire est toujours d’actualité”
“La dette est un narratif utilisé par les conservateurs pour justifier des politiques de coupes dans les dépenses publiques”
Que compte faire le gouvernement ?
“Le gouvernement a créé une Commission sur l’avenir des finances publiques pour en décider”
“Non seulement nombre d’économistes compétents n’ont pas été sollicités, mais cette commission se substitue aux parlementaires. C’est de la démocratie hors des murs”
“Le gouvernement envisage de cantonner la dette Covid, c’est à dire, mettre le surplus de dette dans une caisse d’amortissement et de le rembourser en 20 ans”
“Concrètement, cela revient à mettre une pression à la baisse sur les dépenses, puisque le gouvernement refuse d’augmenter les impôts”
Et les économistes de gauche, ils en pensent quoi ?
“Le sujet a pris une grosse ampleur dans les médias. Il y a eu une tribune de 150 économistes en faveur de l’annulation de la dette Covid, à laquelle Christine Lagarde la Présidente de la Banque centrale européenne a répondu”
“Le sujet de l’annulation a divisé la gauche. Toutes les écoles avaient besoin de s’exprimer”
“Cependant nous sommes d’accord sur l’objectif commun qui est pas de retour de l’austérité, qui ne se traduit que par une casse sociale”
“Le deuxième objectif commun est d’avoir un modèle économique qui soit plus inclusif et permette de faire la transition écologique”
“L’existence de ce débat a permis de mettre un coup de pression et de faire avancer des solutions qui étaient auparavant complètement inabordables”
Pourquoi il y a des économistes de gauche qui ne défendent pas l’annulation ?
“On est d’accord pour dire on ne peut plus s’encombrer avec le financement de la dette si on veut répondre au défi le plus important de notre époque qui est de réaliser la transition écologique”
“Mais le choc de la pandémie du Covid n’est sûrement pas le dernier de la décennie. On devra alors de nouveau augmenter la dette pour y faire face”
“Je ne suis pas sûre qu’annuler à chaque fois la dette soit une solution pérenne"
“On veut surtout installer un régime qui nous permette de faire face aux chocs et de protéger les citoyens”
“Dernier point : l’annulation repose sur la Banque centrale européenne, qui n’est pas une instance démocratique et il faut éviter de lui donner trop de pouvoir”
Quelles sont tes propositions ?
“Il y a des choses à faire avec la Banque centrale européenne. Quand les taux augmenteront de nouveau, il faudra que cette dette ne soit jamais vraiment remboursée, par exemple en la transformant en dette perpétuelle”
“Avec la baisse de la fiscalité sur les hauts revenus, sur le patrimoine, les capacités de dépense de l’État ont aussi baissé”
“C’est pourquoi la politique monétaire a pris le pas sur le financement de l’action publique par la politique budgétaire. Alors qu’elle n’est pas soumise au contrôle parlementaire”
“Il faut restaurer notre capacité à lever l’impôt pour financer nos dépenses publiques en plus de redistribuer les richesses”
“Il faut aussi un circuit du trésor pour réduire notre vulnérabilité aux marchés et aux variations de taux”