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Devoir de vigilance : « La proposition européenne est un élément de réponse à la catastrophe environnementale et sociale »

Tribune 20 septembre 2021
Imposé aux multinationales par une résolution du Parlement européen, le devoir de vigilance sur les pratiques de leurs fournisseurs et sous-traitants doit mettre fin à l’impunité, affirme Manon Aubry, coprésidente du Groupe de la gauche au Parlement européen, dans une tribune au « Monde » répliquant à celle de l’avocate et ancienne ministre Noëlle Lenoir.

Tribune. L’ancienne ministre des affaires européennes, Noëlle Lenoir, a signé, dans l’édition du Monde datée du 29 avril, une tribune Devoir de vigilance : « Avec le projet du Parlement européen, la responsabilité des entreprises n’aurait plus à être prouvée mais serait présumée », qui est plutôt un pamphlet contre la proposition européenne pour un devoir de vigilance des multinationales.

Au fond, cela n’a rien d’étonnant. La proposition de directive européenne, à laquelle j’ai largement contribué, est un texte de rupture avec le statu quo de la mondialisation dérégulée et de l’impunité des entreprises multinationales. Un statu quo que le camp politique de Mme Lenoir, main dans la main avec les lobbys patronaux, s’est échiné à protéger depuis des décennies.

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Pourtant, les tragédies s’accumulent. Selon une enquête publiée par le quotidien britannique The Guardian, au moins 6 750 travailleurs migrants sont morts sur les chantiers liés à la Coupe du monde du Qatar où opèrent Vinci, Bouygues et au moins 12 autres multinationales européennes. Nestlé, Mars et autres groupes chocolatiers auraient profité du travail d’au moins 790 000 enfants en Côte d’Ivoire et au Ghana, révélé par une étude de l’institut de recherche NORC de l’Université de Chicago.

A travers la déforestation importée opérée par les chaînes d’approvisionnement de ses entreprises comme Carrefour ou Casino, l’Union européenne, selon une étude du WWF publiée le 14 avril, est le deuxième destructeur mondial de forêts tropicales. La liste des entreprises profitant de ce genre de scandales est interminable puisque près de 70 % du commerce global a lieu dans les chaînes d’approvisionnement mondialisées des multinationales où l’impunité règne.

L’impunité continue de régner parce que les entreprises multinationales ont un deal avec la classe politique dominante. Elles peuvent organiser la plus abjecte exploitation des êtres humains et de l’environnement et en tirer profit, tant que le sale boulot est fait hors du territoire européen et, si possible, par des fournisseurs ou des sous-traitants.

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L’Union européenne leur facilite bien le travail en négociant à tour de bras des accords de libre-échange sans exigence sociale et environnementale, comme en ce moment avec le Mercosur et la Chine : tout est fait pour permettre aux entreprises d’étendre leurs chaînes d’approvisionnement là où les travailleurs et l’environnement sont les moins protégés. Mais lorsque des victimes demandent justice, les multinationales prétendent ne pas savoir dans quelles conditions sont produites leurs marchandises et ne pas pouvoir agir. Le législateur et le juge, eux, s’en lavent pour l’instant les mains.

Exiger des entreprises de faire preuve de vigilance serait « mission impossible », selon l’ex-ministre Noëlle Lenoir. Ces entreprises ont pourtant les moyens de dénicher les sous-traitants et fournisseurs les moins chers dans le monde entier. Mais elles seraient incapables de respecter les travailleurs et l’environnement ? Nous voulons leur imposer une obligation simple : celle de faire ce qui est en leur pouvoir pour prévenir et faire cesser les violations des droits de l’homme et les destructions de l’environnement dans leurs chaînes d’approvisionnement.

Quand un défaut de vigilance cause un désastre ou y contribue, l’entreprise qui est en faute est tenue responsable. Elle fait l’objet de sanctions et doit réparer les dommages. Les sanctions prévues, toujours selon Noëlle Lenoir, signeraient « l’arrêt de mort de la société mise en cause ».

Les sanctions maximales prévues par le texte ne sont pourtant pas inédites. Elles rejoignent ce que l’Union européenne pratique déjà en droit de la concurrence, par exemple, mais il faut croire que la protection des droits fondamentaux compte moins aux yeux de certains que la protection du libre marché.

Pourtant, nous savons l’immense tribut humain et environnemental que l’absence d’obligations strictes et de sanctions dissuasives nous coûte : des entreprises font des affaires florissantes et construisent même parfois leur « business model » sur l’exploitation de milliers de travailleurs et la destruction de la planète.

Le devoir de vigilance ferait courir le risque d’un « harcèlement judiciaire » des entreprises. Rien n’est moins vrai. Les victimes ne se lancent pas par plaisir dans des combats judiciaires à l’issue incertaine. La possibilité d’un recours en justice, en revanche, est souvent le seul outil pour dissuader les entreprises de piétiner les droits des travailleurs et de l’environnement, et pour donner une chance aux victimes d’obtenir justice.

Non, « le prétoire n’a pas vocation à être le terrain principal de l’action militante » mais il a bien vocation à rendre justice, et trop de crimes commis par les multinationales demeurent à ce jour impunis.

La France a adopté une loi sur le devoir de vigilance en 2017, et cela n’a pas donné lieu à un tsunami de plaintes farfelues qui aurait coulé nos entreprises multinationales. Seuls quelques cas majeurs ont trouvé la voie des tribunaux, tel le mégaprojet pétrolier de Total dans un parc naturel en Ouganda menaçant l’environnement et la subsistance de plusieurs dizaines de milliers de personnes.

Au contraire, le manque de moyens pour l’application de cette loi et son périmètre aussi flou que limité empêchent souvent les victimes d’utiliser la loi française. La plainte contre Nike pour l’utilisation du travail forcé des Ouïgours a ainsi dû être déposée sur d’autres fondements.

La proposition européenne élargit justement le périmètre d’entreprises sous le coup de la loi en y incluant notamment les entreprises étrangères opérant dans l’Union européenne. Elle prévoit également la mise en place d’autorités nationales de surveillance dédiées.

La proposition européenne d’un devoir de vigilance est un élément de réponse à la catastrophe environnementale et sociale engendrée par l’avidité des entreprises multinationales. La mondialisation dérégulée les a laissées se déchaîner au mépris de vies brisées, de l’intérêt général et jusqu’à mettre en péril l’avenir écologique de la planète.

Nous devons reprendre le contrôle en dictant des règles nouvelles et en menant un rapport de force sans concession. « Notre maison brûle », Mme Lenoir, et vous qui avez été ministre des affaires européennes de Jacques Chirac, vous regardez ailleurs.

Manon Aubry (Coprésidente du Groupe de la gauche au Parlement européen.)

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